J'AI EU UNE ENFANCE HEUREUSE ...
C’est absolument incroyable la quantité de personnes qui affirment avoir eu une enfance heureuse.
« Pourtant j’ai eu une enfance heureuse !... »
« Par contre mes parents m’aiment, j’ai eu tout ce dont j’avais besoin… »
« Je ne crois pas que mes difficultés viennent de mes parents… j’ai eu une enfance heureuse… »
Cette affirmation, dressée comme un bouclier et dans laquelle se cache le message : « Touche pas à mes parents ! »
Une « enfance heureuse », je ne sais pas ce que ça veut dire. Tous les enfants vivent des moments de joie, des moments de peine, des moments de colère et des moments de doute, des moments de douleur, des moments de confiance et des moments de peur. A un âge précoce, nous avons déjà fait l’expérience intime de toute la gamme des émotions.
Accoler l’adjectif « heureuse » à notre enfance, nie purement et simplement la richesse et la diversité de notre expérience émotionnelle précoce.
Il ne s’agit pas de dramatiser ou de voir le mal partout, il s’agit de s’ouvrir à l’ensemble de notre vécu. Il s’agit en fait de ne pas idéaliser notre expérience d’enfant, de ne pas en voir que le bon. Du bon il y en a eu bien sûr, il y en a toujours, sinon nous ne serions pas vivant. La bonne nourriture affective que nous recevons : l’affection, la tendresse, les câlins, les regards chargés de fierté ou de bienveillance, la présence, l’accompagnement, … sont indispensables à notre croissance. Ils sont même indispensables à notre survie. Tout autant que la nourriture que nous ingurgitons chaque jour.
Certaines personnes en reçoivent moins que d’autres dans leur prime enfance. Mais s’ils sont là aujourd’hui, des êtres humains vivants, de chair et de sang, c’est qu’ils ont aussi reçu de l’amour. Parfois ce n’est pas de leurs parents qu’ils l’ont reçu. Parfois les enfants doivent trouver les ressources en dehors de leur cercle familial. Ils peuvent avoir la chance d’avoir un grand-parent, un oncle ou une tante, un éducateur ou un professeur, un voisin, un ami… quelqu’un qui leur fait sentir d’une manière ou d’une autre qu’ils sont importants, qu’ils comptent et qu’ils ont de la valeur. C’est merveilleux, parfois miraculeux, comment certains enfants, privés d’affection au sein de leur foyer, arrivent à traverser leur enfance en se désaltérant de quelques gouttes seulement d’affection recueillies à de rares occasions auprès de personnes extérieures.
Mais il y a aussi un grand nombre de personnes qui ont reçu de l’affection de la part de leurs parents. Alors pourquoi remettre en question leur affirmation « J’ai eu une enfance heureuse » ?
Simplement parce que leur enfance n’a pas été « que » heureuse. Ok, il y a eu de la joie, du bonheur. Ok, il y a eu de l’affection reçue et perçue. Mais il n’y a pas eu « que » ça. Il n’y a jamais eu « que » ça.
L’environnement parfait n’existe pas. Les parents parfaits n’existent pas. La mère parfaite n’existe pas. Le père parfait n’existe pas.
Et l’affirmation « J’ai eu une enfance heureuse » sert à ne pas voir cette vérité-là.
Elle nous sert à ne pas voir les imperfections de nos parents avec nous.
Elle nous sert à garder l’image de bons parents.
Pourquoi tentons-nous de garder l’image de nos parents comme étant de « bons » parents ? Pourquoi y mettons-nous tant d’ardeur ? Pourquoi résistons-nous à voir leurs imperfections ?
Il y a de la vie dans la réponse… de la pulsion de vie, parfois même de survie…
Revenons à l’expérience intime du petit enfant que nous étions. Une donnée essentielle de notre vécu d’enfant. Une donnée qu’oublient les gens qui parlent de l’enfance comme d’un âge doré, sans difficulté. C’est que nous étions dépendants.
Et ce n’était pas une moindre dépendance que nous vivions avec les personnes qui nous entouraient et nous élevaient. Notre survie dépendait d’eux. Tout ce dont nous pouvions avoir besoin pour nous sentir bien dépendait de notre environnement : la nourriture, la protection de toutes les agressions (le froid, le chaud, les voitures, les coins de table, les personnes envahissantes,…), les besoins affectifs (regards, caresses, paroles, soins), la propreté, l’acquisition du langage, l’apprentissage des codes sociaux, etc…
Tous nos besoins étaient à la charge de notre environnement. Nous naissons totalement dépendants et nous acquérons petit à petit de l’autonomie mais le chemin est long.
Quand je dis que les parents parfaits n’existent pas, je dis qu’aucun parent ne peut satisfaire à 100% les besoins de son enfant. Nous nous sommes forcément sentis par moments incompris, seuls, en colère, déçus, tristes,… devant l’inadéquation de notre environnement à nos besoins.
Vous voyiez pourquoi il est si important de nous leurrer, d’être dans l’illusion, de rester dans le déni en langage psychologique ?
Nous préservons l’image de « bons » parents parce que c’était vital pour l’enfant que nous étions d’avoir de bons parents. Ouvrir les yeux sur leurs imperfections, les regarder comme les êtres humains, capables d’erreurs et de défaillances avec nous, c’est ouvrir les yeux sur ce qui nous a manqué dans notre expérience d’enfant. C’est ouvrir les yeux sur nos manques et accepter de sentir les émotions associées à ces manques. Incompréhension, colère, tristesse, déception,… Nous avons ressenti de la souffrance et lorsque nous levons le voile du déni sur notre expérience, nous pouvons retrouver notre vécu de souffrance, intact.
Il suffit de regarder un enfant évoluer sur une journée pour voir à quel point sa vie est soumise aux décisions des adultes. A quel point il décide peu de ce qui se passe ou ne se passe pas dans sa journée. A quel point son état émotionnel dépend des décisions, de la qualité des soins et de l’attention des adultes de son environnement.
Quel est l’intérêt d’ouvrir les yeux sur notre expérience de souffrance si cela nous fait souffrir ?
Oui, très bonne question. Pourquoi souffrir ? A quoi bon ? Si l’on peut conserver l’illusion…
Parce que cette souffrance ne reste pas silencieuse. Cette souffrance se manifeste d’une manière ou d’une autre à l’intérieur de nous. L’émotion appelle à être vécue et accueillie, simplement.
C’est comme si le petit enfant que nous avons été, petite fille ou petit garçon de 4 ans, 5 ans, 6 ans, parfois moins, parfois plus, continue de souffrir à l’intérieur de nous. Nous pensons le balayer en lui placardant une affiche « enfance heureuse » sur le visage. Nous pensons nous faire du bien en nous évitant d’être en contact avec sa souffrance. Mais plaquer un masque souriant sur le visage d’un enfant triste ou en colère c’est être violent avec lui. Contraindre un enfant malheureux au silence, c’est être violent avec lui. Le laisser seul avec sa souffrance, c’est lui faire violence.
Empêcher un enfant de verser ses larmes, d’exprimer sa peine, sa colère, sa détresse, sa honte ou sa peur, c’est le maltraiter.
Je trouve incroyable, le nombre d’adultes qui se maltraitent intérieurement. Le nombre de personnes, qui enferment dans un petit placard sombre l’enfant « pas heureux » qu’ils étaient. Ah, l’enfant heureux a de la place dans le souvenir oui, aucun problème…
Heureusement pour ce petit bonhomme ou cette fillette, il trouve des moyens de se faire entendre et il n’a de cesse d’essayer : par le comportement, par les émotions, par le corps,… tous ces dysfonctionnements qui nous perturbent et nous questionnent sont des manifestations, des appels de notre enfant intérieur…blessé.
Pouvons-nous porter un regard plus indulgent sur nous-mêmes en nous regardant ainsi ?
Lorsque derrière la problématique de quelqu’un, que ce soit une phobie, une tendance à se mettre démesurément en colère, une difficulté à faire confiance, un manque de confiance en soi,… peu importe… lorsqu’en consultation se découvre l’appel, le message de souffrance que l’enfant intérieur blessé exprime, je suis toujours attendrie. Toujours profondément touchée par la persévérance de la partie blessée de nous-même, qui n’a jamais totalement perdu espoir d’être entendue un jour, d’être accueillie un jour, d’être comprise un jour.
Et de façon presque magique, je constate, encore et encore, émergence après émergence, que ce que nous redoutions si terriblement et qui nous empêchait d’accueillir ces émotions n’arrive tout simplement pas. C’est douloureux d’accueillir sa souffrance bien sûr, je ne vendrais le contraire à personne. Mais ça n’est pas mortel, et ça n’est pas infini.
Lorsque la colère est exprimée et traversée, lorsque les larmes ont été pleurées, lorsque la honte a été vécue,… le soulagement, l’apaisement et la libération se font sentir. Ces sentiments ne viennent pas d’ailleurs, ils ont toujours été là, disponibles, attendant patiemment que nous daignons arrêter de courir pour vivre ce que nous avons à vivre de difficile d’abord, peut-être, avant de pouvoir enfin accéder à un sentiment de paix intérieure.
Expérience à vivre
Je vous propose de faire une expérience, ici, maintenant, au fil de votre lecture, pour (peut-être) vous aider à lever un peu le voile du déni sur votre histoire, vous aider à tendre l’oreille à votre enfant intérieur et percevoir de quelle nature peuvent être vos manques.
Pensez quelques instants à votre père. Laissez venir son image à votre esprit. Pas l’image du père qu’il est aujourd’hui mais l’image du père qu’il était lorsque vous étiez un enfant. Vous pouvez avoir une image de lui dans la maison dans laquelle vous avez grandi par exemple.
Et tout en gardant cette image de lui à votre esprit, parcourez les lignes qui suivent et laissez vous sentir ce que votre expérience d’enfant vous répond.
N’écoutez pas ce que vous dit votre tête (« mais si voyons, tu sais bien que ton père était fier de toi » par exemple). Il est bon de savoir que ce qui marque notre expérience et notre construction d’être humain, ce n’est pas ce que notre tête nous dit, ce n’est pas ce que nous savons en tant qu’adulte, mais ce que nous avons ressenti en tant qu’enfant. La question n’est donc pas « Est ce que mon père était fier de moi ? » mais « Ai-je senti que mon père était fier de moi ? ». Si vous ne savez pas ou que vous doutez, il y a fort à parier que la réponse soit non. Lorsqu’on sent quelque chose, c’est souvent une évidence.
Tout en ayant l’image de votre père à l’esprit, demandez-vous :
Est-ce que dans cette relation vous avez senti :
- de la confiance ?
- de la liberté ?
- de l’amour ? Est-ce que c’était une évidence ?
- de l’absence ? (parce qu’il n’était pas là ou parce qu’il n’était pas dans la relation); Quelle était sa disponibilité pour vous ?
- de l’affection ?
- de l’estime ?
- de la tendresse ?
- Etait-il à l’écoute ? ou occupé ?
- Quelle était sa disponibilité pour vous ?
- Avez-vous senti de la contrainte ?
- de l’étouffement ?
- de l’anxiété ? Etait-il protecteur ?
- Y avait-il de la compétition entre vous ?
- Est-ce qu’il était exigeant ?
- Est-ce qu’il était contrôlant ?
- Avez-vous senti de la crainte ?
- Est-ce qu’il était dans le jugement ?
- Est-ce qu’il expliquait les choses ?
- Est-ce que vous le sentiez à votre écoute ?
- Est-ce qu’il vous témoignait de la considération ? des encouragements ?
- Est-ce qu’il vous félicitait ?
- Est-ce qu’il vous réprimandait ?
- …
Plus largement, quelle était la nature du regard qu’il portait sur vous ? Comment vous êtes-vous senti regardé(e) ?
Comment s’y prenait-il pour obtenir quelque chose de vous ?
Et vous, quelle était votre stratégie pour attirer son regard, son attention ? Ou pour lui échapper…
Si vous avez pu l’observer, comment relationnait-il avec les autres ? Quel genre d’homme était-il en dehors de la maison ?
Dans cette relation est-ce y a-t-il quelque chose qui vous a manqué ? Qu’auriez eu besoin d’avoir et que vous n’avez pas senti recevoir ?
Je vous propose maintenant de laisser partir l’image de votre père…
Et de la même façon, vous pouvez vous ouvrir à votre expérience avec votre mère. Laissez pour ça venir à votre esprit l’image de votre mère. Pas celle que vous connaissez aujourd’hui, ou que vous avez connu une fois adulte ; la mère de votre enfance.
Est-ce que vous avez senti :
- de la confiance ?
- de la liberté ?
- de l’amour ? Etait-ce une évidence ?
- de l’absence ? (parce qu’elle n’était pas là ou parce qu’elle n’était pas dans la relation) ; Quelle était sa disponibilité pour vous ?
- de l’affection ?
- de l’estime ?
- de la tendresse ?
- Etait-elle à l’écoute ? ou occupée ?
- Avez-vous senti de la contrainte ?
- de l’étouffement ?
- de l’anxiété ? était-elle protectrice ?
- Y avait-il de la compétition entre vous ?
- Est-ce qu’elle était exigeante ?
- contrôlante ?
- Avez-vous senti de la crainte ?
- Est-ce qu’elle était dans le jugement ?
- Est-ce qu’elle expliquait les choses ?
- Est-ce que vous la sentiez à votre écoute ?
- Est-ce qu’elle vous témoignait de la considération ? des encouragements ?
- Est-ce qu’elle vous félicitait ?
- Est-ce qu’elle vous réprimandait ?
- …
Plus largement, quelle était la nature du regard qu’elle portait sur vous ? Comment vous êtes-vous senti regardé(e) ?
Comment s’y prenait-elle pour obtenir quelque chose de vous ?
Et vous, quelle était votre stratégie pour attirer son regard, son attention ? Et/ou à l’inverse, quelle était votre stratégie pour lui échapper…
Si vous avez pu l’observer, comment relationnait-elle avec les autres, avec son environnement ?
Dans cette relation y a-t-il a quelque chose qui vous a manqué ? Qu’auriez eu besoin d’avoir et que vous n’avez pas senti recevoir ?
Peut-être commencez-vous à vous ouvrir de façon plus complète à votre expérience d’enfant. Avec le bon qu’il a pu vous être donné de vivre, et le moins bon… Peut-être des émotions sont-elles présentes pour vous à l’évocation de votre enfance, des images qui ont pu venir à votre esprit. Essayez de ne pas les chasser trop vite s’il y en a. Acceptez d’être émus. D’accueillir dans votre cœur l’enfant qui frappe à la porte.
Traversez ces zones d’ombre et accueillez ce qui appelle à l’être.
Julie Blivet, psychologue et psychothérapeute reçoit en consultation individuelle à Montpellier. N'hésitez pas prendre contact pour toute demande d'information ou prise de rendez-vous.